Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/305

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les baisers hachés par la peur d’être surpris ! Mais, pour eux, cette joie n’avait déjà plus la physionomie de celles qu’ils avaient traversées. Elle manquait des tressaillements de l’espérance comme dans l’attente d’un bonheur nouveau et inconnu. Hélas ! c’est que le printemps venait trop tard !

Avaient-ils donc tout épuisé ? L’accoutumance vient-elle donc sitôt nous désenchanter de nos rêves parce qu’ils sont devenus des réalités ? Non, tout n’était pas épuisé ; non, l’enchantement n’avait pas cessé d’être ; mais ils avaient ouvert l’écorce du dernier mystère et ils s’acclimataient dans l’émotion, c’est-à-dire qu’ils la sentaient moins. Ils s’aimaient peut-être davantage, mais la passion qu’ils avaient l’un pour l’autre ne les enivrait plus ; elle les dévorait. D’impétueuse elle s’était fait âcre, parce qu’elle n’avait plus rien à apprendre ; mais, si les désirs avaient perdu leurs illusions, ils redoublaient d’intensité. Seulement cette intensité était continue, de sorte qu’elle tranchait moins dans leur vie. Ils ne disaient plus : « cela est délicieux, » mais « cela est nécessaire. » Ils étaient graves, presque pensifs : Camille ne s’étonnant plus de rien mais voulant du bonheur encore, par une inconséquente furieuse de passion irritée car elle savait qu’elle était descendue dans ce gouffre de la vie aussi loin qu’elle pouvait descendre ; … et Allan était non moins tenace et non moins altéré du breuvage qui aurait toujours le même goût et produirait toujours la même soif ! Ainsi, l’amour était pour eux sans contemplations et sans sourires. Époque de la passion où elle contracte quelque chose de fauve, où elle se mord le sein comme une tigresse, où elle brûle jusqu’à son bonheur… On se parle moins, — on se sait ; — on s’embrasse