Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/306

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longuement, en silence ; on se détourne sans se demander ce qu’on a ; et les deux bouches, toujours silencieuses, reviennent pourtant l’une à l’autre éternellement s’essuyer.

Quand la passion est arrivée à cet instant de sa durée, elle n’est plus qu’un centre dont la circonférence se rétrécit chaque jour davantage. Elle ne jette plus de charme sur la vie extérieure. Elle l’absorbe sans la sentir. C’est une possession brûlante, jalouse et revêche. Il n’y a pas d’orages encore, mais le ciel est d’une aspérité de feu qui fend la terre. Les rosées du cœur, les pleurs des premiers attendrissements sont taris ; et quand, plus tard, de nouvelles larmes viendront détremper les aridités de nous-mêmes, elles ressembleront à ces larges gouttes, qui dans les pluies de l’été exhalent en tombant comme une odeur de poussière.

Aussi, le printemps qui n’était déjà plus dans leurs âmes vint-il inutilement étaler ses mille beautés autour d’eux. Ce qui fait monter la vie dans les arbres ne la fit pas monter dans leurs cœurs. Ô passions ! passions ! vous vous développez toutes de même ! D’abord, c’est un bonheur à en mourir et qui fait vivre ; et puis après, ce n’en est plus, et ce n’est pas de la douleur encore… Espace sans nom entre les espérances et les regrets, entre le bonheur et le néant cet étrange vide que l’on traverse en s’aimant, mais dont on étouffe ; moment accablant où l’on a la certitude d’être aimé et de ne pouvoir être heureux, sans que le pourquoi de ce fait incompréhensible surgisse jamais dans nos esprits confondus !

On n’aurait pas reconnu en Camille cette Bacchante du bonheur de l’amour, qui se précipitait à grands cris à toutes les ivresses. Elle était presque aussi triste qu’Allan.