Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait, balbutiait. L’incohérence de ses réponses eût trahi les embarras et les tourments de sa pensée à toute autre que cette jeune fille, qui lui supposait, comme à elle, la pudeur de sa passion et la répugnance à demander à un tiers, comme une grâce, les droits qu’ils avaient échangés. Cet homme qui n’avait de fort que l’esprit, c’était l’esprit même qui le faisait souffrir. S’il en avait eu moins, il n’aurait pas compris si bien ce que sa position avait d’indécis et de traître, vis-à-vis de Camille et de sa mère… Le fait est qu’il les trompait indignement toutes les deux. La passion avait tous les torts, sans doute, mais des idées vraies, justes, nobles se superposaient toujours à cette passion qui l’entraînait, — pour lui montrer qu’il aurait dû plus courageusement résister. Quand ce coursier indompté qui passe sur le ventre à toutes choses, cette grande aberration de la volonté de l’homme, la passion, n’a pas trouvé de borne et d’arrêt dans les résistances de l’esprit, l’esprit foulé aux pieds se relève, ravive la flamme fumante de sa torche et la secoue impitoyablement dans la conscience, jusqu’à ce qu’elle devienne le brasier où tout ce qu’il y a de moral et de beau dans l’homme doit périr !

Et cela était rigoureusement vrai pour Allan. Une idée qui lui vint à cette époque, et dont il eut beaucoup de peine à se débarrasser, montre à quel point l’égoïsme de la passion l’avait concentré en lui-même. Il se surprit à désirer monstrueusement la mort de la mère de Camille. La souffrance que toute sa personne accusait, le changement de ses traits, tout alimentait ce désir vague d’abord, bientôt précis, en lui rappelant que, cette femme morte, sa position à lui serait simplifiée, — qu’une pierre de tombe interposée, le passé n’échapperait pas de dessous. Désir