Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/307

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Son visage avait perdu son éclat. Des rougeurs acres ou de profondes pâleurs l’envahissaient à chaque minute, orageuse image des transes de son cœur ! En vain la nature était réjouie et bienfaisante ; en vain jusqu’au genou dans les roses et la tête dans une lumière parfumée vaguaient-ils aux promenades oublieuses, le bonheur dont jouissaient tous les êtres créés expirait à leurs pieds sans les toucher. Et ils s’aimaient ! Leurs frêles poitrines renfermaient plus d’amour qu’il n’en était épars sur le sol, en chaque grain de poussière auquel Dieu envoyait la vie dans les rayons de son soleil ! Mais ce qui faisait palpiter l’atome n’enivrait pas la créature. Misérables créatures, qui, à se serrer l’une contre l’autre, ne font sortir qu’une voix qui crie l’impossibilité d’être heureux ! En vain s’étreignaient-ils de manière à ce que la trace de la poitrine de l’amant restât dans le sein de l’amante, ils savaient qu’ils ne trouveraient pas plus d’apaisements que d’ivresses dans ces étreintes inutiles et fatales. Caresses aussi véhémentes que jamais, mais qui auraient fait mal à voir, car elles étaient irritantes et tristes comme eux.

À cette peine inhérente à la passion même, s’en joignait pour Allan une foule d’autres sans poésie et sans dignité. Il rougissait jusqu’au fond de l’âme à chaque pensée sur la position où il se trouvait devant Camille. Elle l’écrasait avec de certains mots. Maintenant elle voulait de l’irrévocable entre eux, comme si elle eût eu l’instinct que la passion doit être retenue ou qu’elle pourrait bien échapper. Elle le priait d’avouer leur mutuel amour à madame de Scudeifior et de lui demandera ratifier l’engagement qu’ils avaient pris, en se donnant l’un à l’autre, de s’appartenir. À ces instances, Allan — qui ne le comprendra ? — hési-