Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/310

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difie. Une ou deux feuilles de plus tombent de l’arbre déjà dépouillé. On s’aime encore ; on s’aime toujours ; mais ou une jalousie, ou un reproche, ou une inquiétude, sillonnent, comme des coups de hache, cette vivante affection qui trouve toujours moyen de rejoindre ses tronçons saignants. On a comparé la passion à cette pyramide des Contes Arabes dont les degrés croulaient à mesure qu’ils étaient montés. Hélas ! c’est plutôt à mesure qu’on les descend qu’ils croulent, et ce n’est pas redescendre, mais remonter qui est impossible.

Cette circonstance, qui altère le langage en altérant un peu plus l’âme, ne se fait jamais longtemps attendre. Tout pousse la créature humaine à se précipiter vers les faits. Il y a en elle une impétueuse causalité de douleurs, de torts et de fautes. Cette circonstance arriva bientôt pour Allan et Camille. Ce ne fut qu’un mot, mais un mot suffit quand l’âme, saturée des irritations de la passion, n’a plus honte de son égoïsme et abjure ses généreuses délicatesses. Ne dit-on pas qu’un doigt timidement posé fait tomber en poussière les êtres frappés de la foudre ?…

Ils avaient passé la journée dans le jardin, et, comme il est des instants où je ne sais quelle brise intérieure rafraîchit l’âme embrasée, ils étaient moins sombres et plus soulagés du poids de la passion et de la vie. Madame de Scudemor était venue les rejoindre dans la relevée. Fatiguée d’une promenade qui se prolongeait trop pour elle, elle avait regagné le château bien avant que ce tiède soleil d’avril se fût refroidi en s’abaissant à l’horizon. Elle avait montré dans cette promenade un attrait d’amabilité calme, qui avait agi sur les deux jeunes gens occupés si exclusivement d’eux-mêmes. Comme la vue d’une nature tran-