Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/311

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quille apaise parfois les turbulences de notre âme, le calme doux de madame de Scudemor avait-il envoyé quelque apaisante contagion à leurs orageuses pensées ? Qui sait ? Mais quand elle fut partie, ils parlèrent d’elle longtemps, Allan surtout, Allan qui se sentait des torts vis-à-vis de cette femme abandonnée. Nous croyons souvent réparer des torts en rendant justice, dans l’absence, à ceux qui auraient à se plaindre de nous ! Comme Allan ne pouvait révéler ce qu’il savait d’Yseult, de cette grande et infortunée créature, il n’insistait que sur ce qu’il y avait d’extérieur en elle. Il le faisait avec ses souvenirs d’amant et cette mélancolie d’imagination qu’il avait au suprême degré, et que la beauté perdue, l’âge d’Yseult, sa souffrance redoublaient encore. Cependant ils étaient assis sur le banc du petit bois où Allan avait reçu ces terribles confidences d’Yseult, dont il avait failli mourir. Camille, qui s’était mise sur les genoux d’Allan, l’écoutait avec rêverie, tête baissée, et la main jouant, distraite, avec son poinçon d’acier dans la poche de son tablier de taffetas. Tout à coup la pensée d’avoir aimé Yseult, cette dérision d’un éloge dans sa bouche ingrate, son désir atroce et furtif de la voir bientôt mourir, revinrent à l’esprit d’Allan et l’interrompirent. De peur que Camille n’induisît rien de son silence, il cacha sa confusion dans une caresse. Mais, pour la première fois, Camille reçut la caresse d’un air impassible. Cette froideur inaccoutumée, ces yeux à qui le soupçon faisait perdre de leur humidité habituelle, lui donnaient en ce moment beaucoup de la physionomie de sa mère. La ressemblance du regard était frappante. Allan le lui dit en l’embrassant passionnément sur les yeux.

— Tu trouves ? — répondit-elle, et, avec la rapidité de