Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/316

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au lieu de rapprocher. Ce n’est pas l’oreiller d’Othello qui étouffe. C’est un supplice qui lui ressemble, mais moins prompt. Il échappe un cri que l’on retient souvent à moitié. Les raccommodements s’usent à se répéter, et à cette compression impuissante ce n’est pas Desdemona qui finit par mourir, c’est l’amour. Allan n’avait pas prévu cette issue à son sentiment, mais il entrevit confusément qu’un changement nouveau allait suivre les changements que son amour avait déjà subis. À dissimuler pour tenir endormis les soupçons, il le brisait, cet amour, par la fatigue, — et lorsque, voulant se détendre de ses mille efforts, il se mettait à fuir Camille quoiqu’il l’aimât, il s’apercevait bientôt que cette conduite devait exalter cette jalousie davantage et il retournait auprès d’elle, incertain de lui-même, et commençant à maudire les passions et leurs conséquences parce que les enivrements n’en sont pas éternels. Les baisers mêmes avaient perdu leur vertu d’oubliance. Ils ne l’empêchaient plus de penser. Il avait retrouvé cette réflexion que l’inquiétude enfante, et qui fait diminuer l’amour de tout ce dont il n’augmente pas… Quand encore il se plongeait aux caresses, trop préoccupé pour qu’elles le troublassent et trop malheureux pour en jouir, il les prodiguait par calcul. Même pendant qu’elles duraient, l’inquiétude ne lâchait pas sa proie. Inquiétude acharnée, qui ne posait plus sur un terme ignoré de l’avenir mais sur tous les points de la durée. En effet, chaque heure qui n’amenait pas l’explosion du dénoûment à cette vie à trois qu’ils menaient au château des Saules, n’était qu’un répit du hasard sur lequel il était insensé de compter pour l’heure qui suivrait celle-là.