Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/315

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mais il n’en est pas moins certain que cette jalousie détruit l’amour, et, chose triste à penser, peut-être parce qu’elle gâte et perd le bonheur dont tout être humain est avide ! On peut avoir l’intrépide fatuité qui fait désirer la possibilité d’un coup de poignard, mais croyez que l’amour finit toujours par mourir dans ces jalousies. La première scène, la première défiance, le premier reproche sont presque toujours des maux incurables, creusante brûlure qui n’offense que l’épiderme, mais qui, à vieillir, s’enfonce dans les chairs.

L’amour de Camille pour Allan venait donc de dire son dernier mot en bonheur dans cet aveu jaloux et colère. Quoiqu’elle se fût réapaisée dans la confiance et les illusions d’un sentiment éloquent encore parce qu’il était vrai, néanmoins cette jalousie n’était qu’endormie. Soit pour Camille, soit pour lui-même, Allan devait prendre garde de la réveiller. Ainsi l’abandon entre eux n’était plus possible, et, s’il y avait eu confiance jusque-là, de ce jour la confiance aurait cessé d’exister ; mais il n’y avait pas eu confiance. Ils s’étaient aimés sans s’initier à toutes les pensées l’un de l’autre. Amour singulier, empoisonné dans sa source, car, la confiance ôtée, la passion dure, mais que reste-t-il à l’amour ?

Allan n’aurait pas aimé madame de Scudemor que la jalousie dont il était l’objet n’eût pas moins rongé l’amour qu’il avait pour Camille, — vase de vinaigre où se dissolvent les perles de Cléopâtre, toutes les richesses du cœur dépensées, plus lentement et plus misérablement perdues que dans la somptuosité d’un seul soir ! Cette jalousie emporte peu à peu les charmes de l’intimité. Aujourd’hui, c’est l’un qui s’en va. Demain, ce sera l’autre. Tout isole