Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/319

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leurs. Elle l’en fatiguait comme d’une éternelle et invariable répétition, qu’elle reprenait toujours quand elle avait été interrompue. Allan commença par sécher ses larmes en les buvant, mais la source n’en tarissait pas et il finit par les trouver bien amères ! Il les rejeta quelquefois de ses lèvres en paroles pleines d’aigreur et d’injustice, poison versé dans la plaie ouverte. Mauvais moyen de guérir cette âme toujours à vif. Or, il y a des paroles qui sont des faits irrévocables. Ni pardon ni rédemption pour elles. Pas plus après les avoir dites qu’après les avoir entendues, il n’est possible de les oublier… On met un raccommodement par dessus, on retrouve les sourires dans les baisers et les transports dans les caresses que, cœur contre cœur, les paroles terribles prononcées dans un moment d’humeur sonnent au fond de la poitrine. Souvent, en croyant les entendre dans le sommeil, on s’est dressé en sursaut sur sa couche et on a vu l’autre qui ne dormait pas non plus, mais qui pensait à ce qui vient de vous réveiller… « M’aimes-tu ? » on s’aime assez pour se le demander et se le répéter encore, mais ce mot a perdu de sa signification enivrante du jour où il ne fut plus inutile.

Ainsi, après avoir souffert dans la solitude de leurs âmes du sentiment qu’ils avaient l’un pour l’autre, Allan et Camille se rendaient malheureux par ce sentiment même, égoïstes pour qui l’intimité était la pierre sur laquelle ils aiguisaient les armes dont ils allaient bientôt se frapper.

Camille irritait d’autant plus Allan, que chaque mot qu’il lui disait pour apaiser ses défiances et ses jalousies le rendait plus coupable et plus vil à ses propres yeux. Il savait ce que c’est que d’être jaloux du passé. Il l’avait éprouvé ; mais pas assez de temps pour avoir pitié de cette souffrance