Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/333

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que si elle avait aimé sa fille davantage elle eût été plus clairvoyante ? C’était la première fois que la fille coupable par le sentiment qu’elle proclamait avec cette audace, oublieuse de toutes les retenues de son sexe, restait sans larmes dans d’effrontés aveux, irrespectueuse et sans pitié pour la douleur qu’elle allait causera sa mère !… Mais c’est qu’il n’y avait plus là de mère. Il n’y avait là, pour Camille, qu’une rivale, qu’elle voulait connaître et punir.

— Et vous n’avez pas vu davantage, — reprit-elle avec le ton de plus en plus exalté de l’insulte et de la puissance, radieuse de l’effet qu’elle croyait avoir produit et sentant toute sa fureur jalouse se réveiller en présence de l’accablement de sa mère, — et vous n’avez pas vu davantage que lui m’aimait ! et que j’étais heureuse ! et que c’était le bonheur d’être aimée qui changeait ma voix, cernait mes yeux, les emplissait de larmes ; que j’en étais malade, que je ne pouvais plus m’en soutenir ? Vous ne l’avez donc pas vu, mon Allan à moi, me regarder une seule fois ? car ce regard l’aurait trahi et vous eût avertie. Mais où donc aviez-vous les yeux, ma mère ?… Vous ne nous avez pas surpris une seule fois dans une caresse trop lentement interrompue, et pourtant nous en avons assez vécu, de caresses, pour qu’une seule fois du moins vous nous ayez découverts !

Madame de Scudemor ne répondait pas. Rougissait-elle intérieurement pour la déhontée ?… Non, elle savait que la passion a de ces violences que les hommes ont appelées impudeurs, et elle l’acceptait comme elle est, cette passion connue et fatale. Camille, qui se méprenait sur le silence de sa mère, se livrait au plaisir de l’avoir humiliée… Il y avait une glace derrière madame de Scudemor. Les yeux