Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/34

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sible horizon ; un mystique amour digne de la Muse ; — mais le rayon ne rosait encore que le front de la Galathée… Ce ne fut que quand, du front animé, il coula comme un torrent de flamme sur le marbre de la poitrine, qu’elle dit : « Moi ! »

Le temps vint vite où cette Galathée d’enfant dit « Moi ! » aussi. Le peu de paix qu’il avait par intervalles, il le perdit. Il ne se contenta plus de ce culte désintéressé qui lui avait suffi longtemps, de cette adoration muette qui ne demande pas que son expression gardée dans le cœur lui soit renvoyée quand, par hasard, elle lui échappe. Le poète s’effaça, comme toujours, dans la réalité de la passion. À cet autel où il appendait des guirlandes, la nature humaine lui soufflait le désir de quelque moins pur sacrifice. Alors, il se prit à avoir peur de lui-même. Il eut peur d’un sentiment dont les exigences devenaient chaque jour plus impérieuses. Homme prématuré par les facultés sensibles, c’était un enfant par la volonté. Il portait la peine de cette niaise et dangereuse éducation d’un temps sceptique et pédantesque, qui laisse là le caractère et ne s’occupe que des développements de l’esprit. Ses manières changèrent entièrement. Ses habitudes furent bouleversées. Une tristesse affreuse s’empara de lui et décomposa jusqu’à son sourire. Il passait ses journées sans livres, dans une solitude et une oisiveté vraiment effrayantes, et madame de Scudemor avait eu raison de lui dire sous le massif du jardin : « Savez-vous, Allan, que je suis inquiète de vous ? »