Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/341

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lui était pas même échappée. Qu’attendait-elle, puisqu’elle était résolue ? Que se roulait-il dans cette âme enveloppée dans une enveloppe de chair de plus en plus dévorée, et qui néanmoins était impénétrable comme au jour où une mâle vie et une beauté puissante étaient l’abri d’un bouclier au cœur atteint ?… Si madame de Scudemor avait aimé Allan de Cynthry ; si, dans l’intérêt du bonheur de sa fille, elle avait eu à consommer quelque grand et obscur sacrifice, — sang du cœur offert à Dieu, en secret, dans le vase d’or pur de la conscience ; — sa lutte eût expliqué ses hésitations silencieuses. Il faut si souvent, comme le Romain, reprendre avec ses deux mains ses entrailles et y aller à deux fois pour mourir ! Mais Yseult n’avait pas la vertueuse difficulté du sacrifice. Passionnée, elle eût été plus grande ; elle eût été plus sainte. Mais on n’a à dire que ce qu’elle fut. Pauvresse de l’âme, à qui ses inglorieux dévoûments arrachaient presque un sourire, et qui ne soulageaient pas sa misère !

Camille demandait chaque jour à Allan : « Ma mère t’a-t-elle parlé aujourd’hui ? » Et sur la réponse négative du jeune homme, elle ajoutait avec une espérance un peu impatiente : « Ce sera donc pour demain ». Allan, elle en était sûre, n’avait aimé qu’elle, et leur avenir à tous les deux lui paraissait long et serein comme aux premiers moments de son amour et aux plus beaux jours de sa vie. Pourquoi, cette vie, ne la revivrait-elle pas ? Pourquoi y avait-il des différences dans son bonheur présent et son bonheur passé, puisqu’il n’y en avait pas dans son amour ?… Elle cherchait à s’expliquer ses troubles et ses ennuis par les exigences d’un sentiment que l’unité dans le mariage devait apaiser. Elle se montait la tête pour être heureuse.