Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/342

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Quand on est moins heureux, on se reproche d’aimer moins. On a remords du bonheur devenu impossible, parce que les âmes aimantes sont timorées. Pauvres âmes qui confondent, pour en souffrir davantage, les aridités de la vie avec les sécheresses du cœur !

Les défiances et les jalousies qui avaient aigri l’amour de Camille n’en avaient pas diminué la violence. Son amant lui était toujours aussi cher. La femme capable d’aimer se déprend si lentement ! Il n’en était pas tout à fait de même pour Allan. Il était homme, plus fort et plus grossier. Il marchait plus vite. Il se détachait mieux. Il n’avait pas eu besoin de mettre ses deux mains sur la blessure par laquelle l’amour s’écoulait, car cette blessure ne paraissait point mortelle. Elle ressemblait à ces imperceptibles plaies qui ne répandent par jour qu’une ou deux gouttes d’un sang presque rose, et qui n’empêchent pas de vivre. On n’est pas plus pâle. L’œil étincelle avec la même plénitude d’azur, de lumière et de larmes. On boit l’enivrement à toutes les coupes, et la main les soutient encore aux lèvres avides sans faillir ; mais ces deux gouttes de sang, revenant toujours à la même place, essuyées chaque soir et jamais taries, c’est la mort… L’âme suinte par là son agonie. C’est le contraire de Jésus-Christ. L’épine déchirait les divines tempes, et des fleurs éternelles fleurissaient dans le cœur plein d’amour. À nous, hommes, les couronnes embaument encore la chevelure que nos cœurs expirent sous le dard envenimé. Allan, qui n’était pas un Dieu, voulait toujours aimer qu’il le pouvait à peine. Camille, tantôt, n’aurait plus pour lui que cet intérêt des souvenirs qui n’est pas toujours une puissance ! Contradiction de la nature de l’homme ! les défiances et