Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/349

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— Je ne devais — continua-t-elle — vous le révéler qu’à l’heure même où j’aurais eu besoin de vous pour qu’il ne fût pas pénétré. Vous n’en avez rien entrevu à travers mes souffrances. Et, pourtant, il n’y avait pas pour moi un mouvement, pas une attitude qui ne fût une cruelle imposture. Mais, grâce à l’habitude de souffrir la douleur ne m’a pas vaincue, et la seule fois que Camille aurait pu tout soupçonner c’est quand elle me surprit, demi-nue, dans mon cabinet de toilette, avant que je n’eusse eu le temps de me couvrir de mon manteau.

Allan était atterré d’étonnement et d’effroi.

— Mon calme vous fait peur, Allan, — dit-elle, — mais l’idée qui vous accable aujourd’hui ne m’a pas quittée depuis huit mois. Je m’étais abandonnée à la pitié, c’est dans ma pitié que je suis punie. Il fallait que ce dernier sentiment, comme les autres, se retournât contre moi !

Quant à vous, Allan, — continua-t-elle, — vous voilà deux fois père, et il y a un de vos enfants dont vous cacherez la naissance, parce que les hommes la flétriraient de leurs stigmates de bourreau. Ce n’est pas pour moi, qui n’ai rien à demander à la vie et à qui l’injure et le mépris des hommes ne tireraient pas un mouvement de révolte contre eux de ce cœur mort et de ces nerfs anéantis ; ah ! ce n’est pas pour moi, allez, que je réclame le silence et l’obscurité ! Mais c’est pour l’enfant à qui la Pitié, dont il est le fruit, a imprimé une malédiction jusque dans mon sein ! Ce n’est pas pour l’enfant de Camille, de l’amour heureux et partagé ; mais c’est pour le mien, Allan, c’est pour le triste enfant de la Pitié. Vous aurez bientôt des devoirs à remplir vis-à-vis de Camille, et déjà, même, n’en avez-vous pas ?… Que mon enfant soit donc sacrifié à celui