Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/350

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de Camille, je ne me plaindrai pas. Au contraire ! Je le demande et je le veux. C’est à Camille, surtout, qu’il faut épargner les douleurs cruelles de l’amour blessé. Puisque je comprends cela vous devez le comprendre aussi, car je n’ai que ma pitié de femme, et vous, vous avez votre amour ! Allan, je voudrais vous donner du courage contre cette paternité qui vous poursuit déjà comme un remords. Votre autre enfant ne volera pas l’amour que vous aurez pour celui qui vous dira moins hautement « mon père ». Vous l’aimerez, n’est-ce pas ? Eh bien, on paie tout, on s’acquitte de tout avec de l’amour ! On efface même le malheur que l’on a causé. Il est impossible que vous ne l’aimiez pas, cet enfant. Hélas ! moi qui ne peux plus rien aimer au monde, moi qui l’ai conçu sans amour, je n’ai à lui offrir que la pitié qui n’a pas suffi à son père et qui ne lui suffira pas davantage. Allan, — dit-elle d’une voix profonde, après une pause, — aimez-le pour nous deux !

Chose digne d’émouvoir que cette prière d’une mère qui demandait qu’on aimât son enfant mieux qu’elle, parce qu’elle ne trouvait pas dans sa poitrine assez d’amour à lui donner. Allan mesurait toute l’étendue de l’infortune de cette femme. Touché jusque dans ses entrailles il lui prit les mains dans les siennes, ces mains dont le contact n’était plus pour lui qu’une impression douce et froide : — Yseult, — lui dit-il, — ô Yseult, noble et malheureuse femme, vous vous abusez encore ! Vous l’aimerez, votre enfant.

— Ah ! vous savez bien que je ne puis pas, — reprit-elle avec la douceur d’une résignation sublime. — La volonté ne peut pas plus nous faire aimer que vivre. Heureuses, sans doute, qui cessent de vivre avant d’aimer ! Le sort ne m’a pas donné d’être comptée parmi elles, et la force d’ai-