Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/37

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qui pourrait nombrer les cent confusions différentes révélées par l’unité de sa couleur ?…

— Mais j’ai agi à la légère, — reprit-elle. — Je ne devais point vous demander un aveu. Entre nous toute confidence était impossible, et j’ai résolu de vous l’épargner.

Elle se tut une seconde, comme si elle se recueillait.

— Allan, — fit-elle, — votre imagination et votre âge, voilà ce qui vous a égaré à ce point. Il faut s’en prendre à votre âge et à votre imagination, qui vous gâte la vie de si bonne heure, et non à moi qui serais votre mère. Aussi ai-je l’espoir que cette folie cessera bientôt. D’ailleurs, demain je serai vieille tout à fait. Vous pourrez faire demain de ces comparaisons qui me ravaleront autant qu’elles m’élèvent tout à l’heure dans votre esprit. L’amour d’un adolescent pour une femme qui a vécu presque la moitié d’un siècle, doit être le moins long parmi les plus courts.

Elle fit une pause encore, scandant ses paroles comme elle lui scandait le cœur.

— Mais, quoiqu’il en puisse être, mon enfant, il faut nous quitter… Vous retournerez à votre Université d’Angleterre. Je ne veux vous revoir que guéri de cet inconcevable caprice qui finirait peut-être par vous rendre malheureux. Quand vous serez plus calme, quand vous aurez entrevu que vos besoins d’affection peuvent être satisfaits par des femmes riches de la jeunesse du cœur autant que de celle de la beauté, vous me retrouverez votre amie toujours, et le temps se sera chargé, à mes dépens, de rendre toute méprise impossible.

Et elle se tut, naturellement comme elle avait parlé. Avait-elle été assez raisonnable et assez maternelle !… La pauvre fleur d’héliotrope qu’elle froissait était épuisée, et