Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/38

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elle la rejeta. Elle avait mis le même temps à blesser une créature avec son accent plein de sollicitude, qu’à détruire une création sous le doux froissement de ses doigts. Puissance de l’âme, puissance ignorée ! il y a dans les choses de sentiment des courbes qui échappent au calcul.

Voyons ! Franchement, ne pouvait-on pas l’accuser d’hypocrisie, cette femme qui se savait aimée et qui prenait de tels airs de maternité et de raison avec ce malheureux qui l’adorait ?… N’aurait-on pas pu voir une atroce tartufferie d’orgueil dans cette prétention à la vieillesse, dont elle présentait avec tant de fréquence la perspective quand tout, en elle, la faisait oublier ? Comédienne étrange, — ou, si elle ne l’était pas, vanité diogénique qui passait à travers les trous du manteau ! Un homme fort lui eût cassé son masque sur la figure et mis à nu, comme un ver, son âme devant lui. Mais Allan n’était pas un homme fort. Il n’avait point de ces ressentiments qu’une passion blessée souffle au cœur avec une haleine d’ouragan. Pauvre chien, il se couchait sous les coups ! Quand elle avait dit : « Il faut nous quitter », cette âme timide et fraîche ne s’était trouvé que des larmes.

Mais qui peut comprendre la magie des larmes pour une femme ?… Qu’elles coulent, blanches, fraîches et tièdes, peu importe ! elles font toujours un de ces fleuves qui emportent au loin les digues de son cœur. Pour ces êtres d’une pitié divine, il y a toujours du sang du cœur dans les moindres larmes qu’on verse à leurs pieds. Les grands séducteurs le savent bien. Leur puissance est de savoir pleurer. Don Juan et Lovelace pleurent. Terrible puissance de ces terribles syrènes ! Allan n’était ni Don Juan ni