Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/372

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tempe maigrie et creusée, et Camille à baisser les yeux sur son ouvrage pour cacher la trace enflammée des pleurs qu’elle avait versés dans la journée, et qu’elle pouvait montrer sans crainte qu’on lui demandât ce qu’elle avait eu.

Un soir, les fenêtres étaient ouvertes aux dernières haleines et aux derniers bruits du jour. Madame de Scudemor, qui approchait du terme de sa grossesse, était plus souffrante et plus affaissée que jamais sur son canapé ; Camille plus malheureuse de la froideur de son mari qui commençait à percer, malgré lui, dans leur intimité d’époux ; et Allan dans un état sans nom de fatigue et de désespoir. Il avait horreur du vide de son âme. Il voulait quelque chose pour le remplir. Il voulait n’importe quoi, fût-ce du crime, fût-ce du remords, et il allait de l’une à l’autre de ces deux femmes, écorces flétries qui lui étaient tombées de la bouche et des mains et qu’il ramasserait encore ! Mais Camille était la plus dévorée malgré la plénitude de sa jeunesse, la plus flétrie malgré toutes les splendeurs de sa beauté, car elle l’avait aimé. Il la savait donc mieux !

Le salon était plongé dans une ombre épaisse. À peine pouvait-on distinguer madame de Scudemor écrasée sur son canapé, Camille assise plus loin, et Allan qui passait et repassait entre elles, enveloppé de son morne silence. La nappe de lumière qu’épanchait une lune rouge comme une tête coupée qui roulait dans un coin du ciel, sur le marais, n’envoyait rien de son sanglant éclat dans ce salon à travers les jasmins des fenêtres, entre lesquels on la voyait se lever, sinistre, à l’horizon brumeux. On entendait la note plaintive du crapaud répétée à courts intervalles