Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/382

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leur moi sur leur face, apostasient tous les sentiments de l’amour dans des repentirs d’apparat et de comédiennes vertus ? Et, s’il n’y en a qu’une forte et vraie, Yseult, que ce soit toi ! Ce désintéressement de toute joie sensible, mets-le entre moi que tu n’as pas aimé et toi qui t’es pourtant donnée. Signons ce hardi pacte d’alliance, et donnons cet exemple au monde ! Il est assez stupide pour s’en étonner, mais il s’en étonnerait bien davantage s’il savait à quel amour va succéder cette intimité, plus haute et plus rare que l’amour ! Peut-être même la calomnierait-il ?… L’homme est si profondément vil qu’il fait des viletés des actions qu’il ne comprend pas, parce qu’ainsi il est toujours sûr de les comprendre. Mais nous, les insultés du monde, nous nous rapprocherions davantage l’un de l’autre, trop vieux et d’une trop fière insouciance pour nous donner les airs du martyre sous tous ces index levés sur nous avec mépris. »

Mais à ce jeune homme épris de la force, — la plus belle chose qu’il y ait dans le monde après la vertu, — à cette imagination de poète qui parlait si ambitieusement de donner au monde un noble spectacle et qui se drapait de si haut dans la douleur solitaire et les méprisantes huées de la foule, la femme découragée répondait :

— « Ce que vous me proposez n’est plus possible, Allan ! Non, cela même, Allan, pas même cela ! Vous vous imaginez, ô poète ! que ce serait plus beau que l’amour, cet incompréhensible sentiment qui ne serait plus l’amour mais qui serait, croyez-moi, le désir de l’amour encore, un désir insensé qui s’élève fatalement de nos désespoirs les plus grands ! Quand donc le cœur se corrigera-t-il d’enfanter cette illusion éternelle ? Vous ne savez donc pas