Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/39

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Lovelace. Ce n’était pas alors, et ce ne fut jamais plus tard, un de ces crocodiles de séduction dont les larmes attirent pour dévorer. Il était à l’âge de la vie où l’on est vrai encore, et il n’avait que des pleurs involontaires d’enfant. Avec son corsage de jeune fille, on l’aurait pris pour la sœur de Camille que sa mère eût mise en pénitence pour s’être déguisée en garçon.

La comtesse de Scudemor n’était plus, de son côté, à l’époque de l’existence où la simple vue d’une émotion vous émeut. Et cependant, cette froide personne ne put résister à l’éloquence de ces pleurs muets et d’un désespoir si résigné. Elle attira à genoux devant elle sur le tapis le pauvre Allan, et, longuement, elle lui essuya les yeux avec son mouchoir parfumé. Elle ne se sentait plus le courage de lui répéter « qu’il fallait partir ».

— Ah ! voilà bien ce que j’avais prévu ! — dit-elle. Et après avoir cherché dans sa pensée quelque temps, elle ajouta :

— Désolant enfant, vous resterez près de moi. — À ce mot, il lui étreignit les genoux contre son visage en pleurs. Il la respira ainsi dans les plis de son peignoir où étaient tombées ses dernières larmes, à lui, et il les but comme du nectar parce qu’elles avaient chauffé sur le tissu tiédi par le contact du corps qu’il voilait.

Ainsi, déjà ! L’expiation des paroles qu’elle avait dites d’abord était consommée… Cette femme à la sagesse hautaine, aux prévisions d’une réalité desséchante, n’avait pas su résister aux pleurs d’un enfant. Aussi, faut-il l’avouer ? quand on est femme, ce doit être quelque chose de bien touchant qu’un de ces amours, silencieux de respect mais si expressifs, qu’on a fait naître, sans y songer, dans une