Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/396

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m’avez aimée, avez-vous pu me ré-aimer une seconde fois ?… Non, c’est à jamais qu’on se sépare, et tous les adieux sont éternels ! Pourquoi donc cette enfant que voilà, Allan, ne vous deviendrait-elle pas un jour odieuse ? Pourquoi ne vous deviendrait-elle pas indifférente ? Un amour nouveau peut naître en vous, et alors, que pèse l’enfant le plus aimé dans le cœur contre l’accablant amour qui est revenu y tomber ?

— De l’amour ? non ! — murmurait Allan, car il n’osait pas l’affirmer devant cette femme dont il avait aimé la fille, malgré tant de tourments perdus…

— Vous êtes si jeune encore, mon fils, — reprit Yseult, — et l’on se croit plus d’une fois le cœur éteint qu’il n’est qu’assoupi. Mais, ne vous abuseriez-vous pas sur vous-même, l’affection du père n’est-elle pas aussi fragile que toutes les autres affections et n’est-il pas écrit, dans toutes les destinées humaines, — ajouta-t-elle, en laissant à son front la trace de ses ongles, — que tout ce qui rend heureux ne doit pas durer ?

Allan ne répondait point à ces paroles fatales, mais il avait en son âme un écho qui répondait pour lui.

— Et ce n’est pas moi qu’il faut en croire, Allan, — reprenait-elle, — mais ces horribles effrois qui sont des instincts ou de l’expérience et qui ne trompent pas ceux qu’ils avertissent. Vous ont-ils trompé déjà ?… Vous avez aimé Camille et vous avez été aimé d’elle. Eh bien ! n’avez-vous pas senti que cet amour 5*cn allait, — que ce bonheur séchait plus vite qu’une goutte de rosée au soleil ? Qu’en vain on s’entrelaçait davantage on ne pouvait pas le retenir, et vous vous êtes replongé plus avant dans les caresses tant qu’enfin le jour est arrivé où vous n’avez plus souri de