Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/397

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vous-même, et où la caresse dans laquelle vous vouliez vous perdre tout entier ne montait plus à la poitrine !

Ne baissez pas la tête ainsi, Allan ! je n’accuse ni ne réclame, pas plus au nom de ma fille qu’au mien. Je vous plains, vous qui ne l’aimez plus ; mais je la plains bien davantage, elle qui vous aime et qui n’est plus aimée. Vous m’avez écrit que vous ne craigniez au monde que mon mépris Vous ne savez donc pas, enfant, qu’où il y a douleur, il y a pour la femme impossibilité de mépris ?

Les hommes ne sont pas ainsi, eux ! Ils ont un mépris dont ils tuent, dont ils achèvent l’être qui souffre. Vous êtes un homme, Allan ; n’avez-vous pas souvent rougi d’inspirer cette pitié qui est le sublime ou le misérable mépris de la femme, et que les hommes comprennent si peu qu’ils ne l’acceptent que comme une injure ?

Avant que vous me l’eussiez avoué, je savais, Allan, que vous n’aimiez plus ma fille. Hélas ! je reconnaissais en vous l’histoire de tout ce qui est humain. Mépris sur la nature humaine ! — mais que la personne qui souffre de ce mépris soit absoute et pleurée. Voilà ce que je me disais. Ah ! ma pitié vivait toujours indestructible ! Elle était si forte, Allan, que le jour de votre mariage, en vous voyant à l’autel sombre et pâle, je devinai ce que vous avez cru m’apprendre. J’entr’aperçus que ce mariage n’était plus qu’une loi de fer à laquelle vous tendiez le cou, et j’eus la pensée de le briser avec un mot. La vue de Camille m’arrêta, car ce mot dit pour vous la frappait, elle, au milieu de sa joie. Elle était la moins forte. Elle était coupable aux yeux du monde. Elle n’avait pas le beau courage d’affronter des mépris amers… Vous, à elle ou sans elle, seriez-vous plus heureux, Allan ?… Combat terrible qui s’agitait tumultueusement dans mon