Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/401

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un avant-goût d’odeur de la tombe. L’air de la chambre était asphyxiant de chaleur fiévreuse, et comme Allan craignait que cet air vicié ne fût mortel à la fleur délicate de quelques jours qui y était exposée, à cette pauvre enfant qui le respirait péniblement, tant il était épais pour sa jeune poitrine, dans les tissus échauffés du lit de sa mère, il l’en arracha et la porta auprès de la fenêtre qu’il ouvrit. Les jasmins jaunes répandaient leurs méridionales odeurs. La campagne était silencieuse. On eût entendu frémir les étoiles dans l’air profond, si leurs scintillements n’étaient pas aussi muets qu’une pensée heureuse. C’était une nuit placide à faire croire à l’éternité de toutes choses. Allan semblait puiser de la vie pour l’enfant fragile à ce réservoir de l’Être, à ce beau lac bleu dans lequel nageait toute la création endormie, et l’enfant, au sein des jasmins et sur la musculeuse poitrine de son père, recevait par torrents sur la tête et sur les épaules un baptême de force et de vie dans ces mystérieuses ondées qui tombent, sans qu’on les voie, du ciel.

La respiration d’Yseult traînait, comme un râle, dans le silence. La rosée fécondante dans laquelle Allan trempait sa fille et dans laquelle se rajeunissait la nature, aurait-elle lubrifié le marbre de ce front obscurci et suintant péniblement cette sueur de l’instant suprême, huile dont s’oint l’athlète pour le combat dans cette grande gymnastique de la mort ?… Aurait-elle apporté le bien d’un rafraîchissement éphémère aux ardeurs de ces veines dont le bleu devenait de plus en plus noir ? Allan n’y pensa même pas. Il inondait sa fille d’air pur, de nuit, de parfums, de caresses et la mère mourait à l’autre extrémité de la chambre, et, dans l’égoïsme de son sentiment paternel, il ne songeait