Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/402

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pas à cueillir pour la mère une tige de ces jasmins embaumés qui posée contre la bouche de la mourante lui eût apporté une sensation douce et bonne, à l’heure où tout est supplice et angoisse !

Tout à coup, Yseult l’appela auprès d’elle. Il y alla, après avoir déposé sa fille sur le canapé, surpris qu’elle eût recouvré une connaissance qu’il croyait perdue… Elle s’était soulevée sur son coude, — la position de toute sa vie depuis que les passions avaient cessé de l’agiter, depuis que des quatre points cardinaux nul souffle n’était venu se jouer autour de la colonne écroulée. Elle ressemblait au convive antique rassasié et qui va quitter le festin. Mais le poison tari aux coupes vides se répandait, comme une mortelle ciguë, en teintes verdâtres et mobiles aux surfaces du sein qui l’avait englouti :

— Allan, Allan, écoutez-moi, — lui dit-elle, — car je sais que je vais mourir. Les hommes croient que la volonté des mourants est sacrée. Si vous le pensez aussi, vous, écoutez-moi. Ne donnez pas mon nom à ma fille. Je ne veux pas que mon souvenir reste après moi. Je ne veux pas que vous lui parliez jamais de sa mère. Ce n’est pas pour moi, ce que je vous demande, c’est pour elle. Que ma fille me méprise ! mon mépris me fait plus de mal que le sien. Mais pour elle, au nom de Dieu, si vous avez le bonheur d’y croire, ne la faites jamais rougir et souffrir en lui parlant quelquefois de moi !

— Quel abîme êtes-vous donc ? — fit Allan, en prenant la main qu’elle tendait vers lui. — Ah ! Yseult, Yseult, Être de continuel sacrifice ! qui aurait le droit de vous mépriser ici-bas ?

— Moi-même ! — répondit-elle avec une voix rigoureuse.

— Les approches de la mort jettent un jour inattendu sur