Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/418

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veut leur faire éviter l’écueil où sont venues se briser leurs mères !

« Un homme s’élève toujours bien seul, mais s’il est une vérité commune, c’est que la femme a une sensibilité plus grande et moins de moyens que les hommes pour y résister. La société, que les hommes ont faite, les lance nues parmi toutes ces armures contre lesquelles elles se serrent avec l’infinie tendresse de leurs âmes, et qui les meurtrissent et les écrasent. Ah ! les mœurs ne changent que de costume. Sur ces mains lavées à la pâte d’amande et enfermées dans un gant blanc, il y a un gantelet de fer, je vous l’assure. On ne l’y voit pas, mais il y est. Regardez-en plutôt la marque au poignet saignant de vos filles ! C’est par l’éducation, Albany, qu’on peut garantir la frêle destinée de la femme, non pas de la souffrance, — car souffrir souvent perfectionne, — mais de l’abaissement qui dégrade. Telle est ma tâche, à moi, mon ami, qui n’ai plus celle de faire le bonheur de personne dans ce monde où j’ai à vivre presque tous mes jours !

« Elle répétait aussi, Yseult, que l’amour des enfants n’était pas plus éternel que les autres, et je n’oserais pas dire qu’elle se trompât. Les plus beaux s’en vont, pourquoi ceux qui n’ornent que la vie au lieu de s’en emparer ne nous abandonneraient-ils pas aussi ? Mais, que je cesse d’aimer mes filles comme j’ai cessé d’aimer leurs mères, l’idée du devoir m’empêchera de me détourner d’elles comme il était arrivé à Yseult et mes filles, Jeanne et Marie, trouveront toujours en moi leur père, que mon cœur batte sous leurs caresses ou qu’il n’y batte plus.

« Quant à ma femme, que puis-je pour elle ? Pas même un mensonge. Elle n’y croirait pas. D’ailleurs, j’ai juré de-