Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vant Dieu d’être fidèle et sincère, et si le premier serment était impie, le second ne l’était point car l’homme peut être toujours vrai, l’obligation de toute sa vie souscrite solennellement une fois de plus, et c’est en restant sincère avec Camille que je devais expier mes anciennes faussetés. Je ne lui donne pas même les caresses de frère à sœur. Ne lui paraîtraient-elles pas la plus cruelle des ironies ? Depuis la mort de sa mère, ce dernier jour où elle fut jalouse et implacable, ce caractère passionné, cette âme orageuse a fléchi. Moi-même, je ne m’attendais guère à ce qu’elle est devenue. Je la laissai se replier sur elle-même et je comblai le creux de mes journées en m’occupant de la petite Jeanne (la fille d’Yseult), qui n’avait plus de mère quand la fille de Camille en avait une. J’étais cruel, je le savais, Albany ; mais j’avais des devoirs vis-à-vis de mon enfant. J étais cruel, — mais en agissant autrement, peut-être l’aurais-je été davantage ?

« Ô mon cher André, je tremble de vous entr’ouvrir ces mystères amers d’intérieur, cette isolation dans le mariage, l’amour blessé qui gémit ou se dévore dans le silence et cette misérable délicatesse qui souffre en nous en présence des tourments dont nous sommes cause, et qui les redouble au lieu de les apaiser ! Ignorez à jamais ces détails arides, et puisse la destinée rester la même pour vous comme pour le cœur qui vous est uni ! Que votre blanche Paule, à laquelle vous avez donné vie pour vie, n’ait jamais à souffrir des peines de Camille ! Qu’elle n’apprenne point par son exemple ce dont la malheureuse se tait ! Vous comprenez pourquoi, maintenant, elle n’a pas répondu avec ferveur aux politesses de votre aimable femme. C’est une heureuse, c’est presque une ennemie. Hélas ! voilà comme nous