Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/58

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mal ! » Dieu du ciel ! Vous croyiez peut-être que je me livrais avec fougue aux sensations que j’emportais d’auprès de vous, chaque soir, dans la solitude de ma couche !… Vous croyiez que vous enivriez le corps de l’adolescent et que vous ne torturiez pas le cœur de l’homme ! Femme aveugle, si vous l’avez cru ! si vous n’avez pas pensé au ravage que peut faire dans une âme passionnée l’idée d’un souvenir, d’un seul souvenir qui n’est pas pour elle !…

« Jamais, Madame, — non, jamais je ne vous aurais parlé de cette jalousie, si vous ne l’aviez pas augmentée tout dernièrement, à votre insu peut-être !… À votre insu ? Non, vous êtes trop intelligente. Non, il y a trop sur votre front la marque de la science de la vie et de ses angoisses, pour que vous ne sussiez pas ce que je souffrais et ce qui me faisait souffrir !… Pourtant, ne vous étiez-vous pas déjà trompée sur mon amour ? Ne l’aviez-vous pas pris pour un enfantillage dont mon imagination seule faisait une souffrance ? Ne pouviez-vous vous tromper encore ? Voilà ce que je me disais, mais j’ai surpris votre regard tant de fois attaché sur moi avec une expression si singulière ; j’ai si bien vu et j’ai si mal compris, que je viens vous demander à vous-même ce qu’il me faut penser de vous. Vous voyez bien qu’il s’agit du présent, Madame, et non pas de votre passé.

« Plus je vous aime, Madame, et plus je me détache de Camille, cette pauvre petite que j’aimais comme on aime une sœur. Dans les premiers instants de cet amour que vous avez deviné, tout en vous méprenant sur sa puissance, je trouvais une ressemblance vague, éloignée, indéfinie mais délicieuse, à son visage avec le visage de sa mère. Si elle