Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/61

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Saules, Camille, étourdie et joyeuse, vint troubler mes rêveries de flamme sous le saule où je m’étais réfugié. Elle avait une fleur, une abeille, je ne sais quoi à me montrer. Je la renvoyai comme une enfant qu’elle était. Je fus maussade pour elle. À partir de ce jour, je l’ai toujours été davantage. C’est qu’une idée, — une idée affreuse commençait à poindre dans mon esprit et s’enfonçait dans mon cœur… Ah ! Madame, que je vous aimais !

« Il est impossible que vous ne connaissiez pas cette idée fatale, mais encore à l’heure où vous m’essuyiez les yeux avec votre mouchoir, à l’heure où vous me permettiez de rester près de vous, croyant, dans votre superbe et exécrable expérience, que ce trop-plein de sensibilité qui s’épanchait sur vous s’en détournerait et inonderait au premier jour quelque plus jeune créature, je la cachai, cette idée amère. Je la cachai dans mon cœur, en mettant les deux mains dessus. Faible et éploré devant vous il n’en passa rien dans mes larmes, et vous ne soupçonnâtes pas que l’écolier, l’enfant, le rêveur, la tête perdue qui pleurait là, à vos genoux, vous cachait pourtant une douleur à briser la poitrine d’un homme !

« Elle y serait morte, Madame. Oui, je l’y aurais courageusement ensevelie, quelle qu’eût été la destinée de mon amour, si depuis ce même jour où vous forçâtes à me revenir Camille, que ma froideur avait éloignée, vous n’aviez pas pris plaisir à l’accabler devant moi de caresses. Je trouvais votre conduite étrange, inouïe, impénétrable, puisque je ne l’aurais expliquée qu’en vous rapetissant, ce qui m’était impossible. J’acceptais cette peine qui me venait de vous, en reconnaissance de ce que vous ne m’aviez pas banni, — de ce que vous m’aviez souffert vous