Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/68

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prendre sur ma tête la responsabilité de vos larmes, j’en appelais une autre bien plus pesante à porter.

« Oui, je me suis trompée ; oui, j’ai été aveugle quand votre amour m’a semblé n’être qu’un premier sentiment et un résultat de votre âge, de votre imagination exubérante et embrasée, et des circonstances dans lesquelles vous étiez placé. J’ignorais à quel point votre sentiment pour moi était profond… J’espérais qu’il ne serait qu’une préoccupation éphémère. Accusez-moi, — condamnez-moi, je vous le pardonne ; mais sachez que, depuis le jour où je vous vis embrasser Camille avec répugnance, je voulus n’avoir plus à m’abuser sur le sentiment silencieux qui se trahissait de manière à m’épouvanter pour l’avenir.

« Vous comprendrez plus tard, mon ami, pourquoi j’ai ravalé votre amour jusqu’à n’être que… ce qu’il n’est pas. Il y a du passé dans tous les jugements d’une femme ; mais, c’est au nom de ma pitié même que je reprends ma pitié. Maintenant que je ne crois plus à un caprice qu’il était dangereux d’irriter, maintenant que vous m’avez dénudé votre âme, je vous répéterai le mot qui vous afflige, mais qui doit vous sauver : Allan, il faut que vous partiez. Quittez-moi. Voyagez. Vous êtes jeune et poétique. Vous vous déprendrez aisément de moi pour vous prendre à tant de choses ! De nouveaux amours écloront dans ce cœur qui s’essaie à aimer. Un avenir s’ouvre devant vous, brillant et vaste. Ne restez pas lâchement à l’écart de cet avenir et laissez-moi, sur les confins de ma vie terminée, assise à terre, défaite des fatigues du voyage et du temps trop long qu’il a duré.

« D’ailleurs, Allan, que voulez-vous de moi ?… J’ai trop