Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/98

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— Ô mon pauvre ami, vous ne savez ce que vous dites ! — fit-elle avec une douceur irrésistible. — Pardonnez-moi si je vous ai fait mal tout à l’heure en vous répétant que je vous forcerais à partir… J’obéissais à l’effroi de la destinée. Hélas ! nous nous rendons bien malheureux. Vous, Allan, vous avez des larmes. Je n’en ai plus, moi. Tout m’a été pris. Mais croyez que je souffre bien aussi… et pardonnez-moi.

Il y avait du baume dans cette voix attendrie. Le front d’Allan tomba, moins d’écrasement que de confiance renaissante, sur l’épaule de madame de Scudemor.

— Oui, mettez votre tête ainsi, mon enfant, — dit-elle, redevenue maternelle, — et pleurez, rassasiez-vous de vos larmes. Hélas ! vous ne pleurerez pas toujours. Ne vous avais-je pas dit que nos adieux seraient cruels ? Ah ! en grâce, abrégez-les en partant demain ! Tenez, je ne vous parle plus de vous ; mais, si vous avez quelque pitié pour moi, qui me reprocherais comme un crime de vous avoir gâté la vie sans même vous avoir fait goûter le stérile dédommagement des passions, soyez bon, soyez généreux en vous éloignant. Payez-moi ainsi du triste courage qu’il m’a fallu pour vous raconter l’humiliante biographie de mon cœur. Cette histoire, que vous savez maintenant, n’est-elle pas une infranchissable barrière entre nos deux destinées ? Quoi, vous n’aimez plus Camille ! Mes caresses l’ont enlaidie à vos yeux parce que, sous ces caresses, vous avez mis quelque chose qui ne s’adressait pas à elle seule, et vous voudriez de sa mère, de celle qui l’a eue d’un autre homme que vous !  ! Et encore, s’il n’y avait eu que cet homme qui m’eût infligé les passions et la douleur, mais vous savez qu’il n’a pas été le seul que