Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/97

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— Non, Madame, — répondit-il avec l’impétuosité d’une colère longtemps concentrée, — non, non, je ne partirai pas ! Si vous avez cru avoir fait une belle chose en me racontant votre désespérante histoire, je n’apprécie pas vos sublimités et je ne veux point de vos abnégations ! Que sais-je même si vous avez dit vrai ?… Que sais-je si par bonté pour moi, et pour me guérir de mon amour, comme vous dites, vous ne vous êtes pas calomniée ? Mais non ! — reprit-il, — vous avez été vraie. Un mensonge ne m’aurait pas fait tant souffrir !

Et il s’arrêta sous le poids de la conviction qu’elle avait été vraie… On l’aurait dit effrayé de l’énergie qu’il montrait.

Mais elle ne s’émut point de cette résistance, sur laquelle elle ne comptait pas. — La nuit porte conseil, Allan, — lui dit-elle avec sa voix grave, — demain peut-être éprouverez-vous le besoin de partir sans me revoir. Autrement, je vous ordonnerais de quitter le château ; et si positivement, Allan, que, par fierté seule, vous ne manqueriez pas de m’obéir.

— Par fierté ! — reprit-il. — Ah ! je me soucie bien de ma fierté ! Mais, Madame, ma fierté, c’est de rester ici malgré vous ! J’y resterai ! Quelque chose de plus fort que moi m’y attache, m’y rive les pieds. Quelque chose de plus fort que vous aussi ! Que me parlez-vous d’avenir, à moi ? Vous que le désenchantement a envahie de partout, il vous sied bien de me parler d’avenir ! Mon avenir, c’est d’être où vous êtes. Mon avenir, c’est de vous aimer, et, quand je serai las de cet amour en pure perte, de me brûler la cervelle à vos pieds !

Sa voix creva dans des sanglots. Il aurait voulu les étouffer ; mais, inhabile aux luttes contre lui-même, il ne put les contenir plus longtemps.