Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/153

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autres, elle dit qu’on la laissât seule avec M. de Maulévrier.

La pendule marquait une heure et demie du matin. Jamais M. de Maulévrier ne s’était trouvé à une pareille heure dans l’appartement de Mme d’Anglure, du moins à la connaissance de ses gens.

— Ah ! vous m’avez trompée, Raimbaud, — s’écria-t-elle. — Vous ne m’avez pas dit la vérité, quoique je l’eusse bien devinée ! Pourquoi ne m’avoir pas avoué plutôt que vous ne m’aimiez plus et qu’une autre m’avait pris votre amour ? C’est elle, la marquise, une infâme coquette, qui ne vous rendra pas heureux comme je l’aurais fait, qui ne vous aimera pas comme moi, Raimbaud, et qui ne mourra pas comme moi quand une fois vous ne l’aimerez plus !

Elle avait d’abord voulu parler d’une voix assurée, mais les pleurs étaient venus peu à peu, et des sanglots qu’elle ne contint plus éclatèrent. M. de Maulévrier marchait dans la chambre à grands pas, la main droite ramenée au flanc gauche, cette belle pause du portrait de Talma dans Hamlet, hésitant encore à jeter sur cette tête dévouée et désolée le mot qu’elle savait, mais qui, dit par lui, allait l’écraser.

— Pourquoi ne me répondez-vous pas, Raimbaud ? — fit-elle. — Me méprisez-vous donc tant que vous ayez résolu de ne rien avouer ? Pensez-vous pouvoir m’abuser encore par votre