Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silence, comme vous le faites depuis un mois avec ce langage qui me jetait dans l’âme un bonheur rempli d’épouvante, car je ne sais quoi me disait que tout ce bonheur était faux ! Vous m’avez trompée par pitié, Raimbaud ; mais je voulais votre amour, je ne voulais pas votre pitié. Hélas ! il fallait bien que j’apprisse un jour ou l’autre ce que vous deviez être impuissant à me cacher. La marquise aussi est jalouse. J’ai vu sa jalousie aujourd’hui ; j’en ai joui d’abord, mais, grand Dieu ! qu’ensuite j’en ai été punie ! Vous avez eu peur en la voyant jalouse ; vous avez eu peur de la faire souffrir plus que moi ; vous avez sacrifié celle que vous n’aimiez plus à celle que vous aimez ! C’était juste ; je ne vous le reproche pas, Raimbaud, mais je me demande seulement comment j’ai fait pour vous déplaire et pour que vous cessiez de m’aimer ?

Ainsi, les paroles de son désespoir ne démentaient pas toute sa vie. C’était toujours la femme esclave, la femme faite pour l’amour, l’amour vrai et comme il ne se rencontre plus que dans quelques cœurs exceptionnels, dans quelques esprits que le monde insulte, car ils sont sans puissance. Si M. de Maulévrier avait été désintéressé vis-à-vis de Mme d’Anglure, il eût admiré l’abnégation de cet amour résigné ; mais, dans sa position, il n’était plus juste. Caroline lui parlait de la jalousie de la marquise ; c’était