Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, encore une fois, leurs relations se modifièrent, mais demeurèrent aussi fréquentes, aussi intimes que jamais, et le monde, qui avait accusé Mme de Gesvres d’avoir tué Mme d’Anglure, continua de les nommer amants, quoiqu’ils ne fussent plus que des amis.

Amis étranges, il est vrai ; singulière et triste liaison, d’un charme puissant, inexplicable et empoisonné !

Le mot qu’elle lui avait dit devint vrai.

Après elle, il n’aima plus personne. On eût dit qu’en l’aimant il avait contracté, pour les autres, la cruelle impossibilité d’aimer dont il avait été la victime.

Et cependant, malgré cette épreuve, lui, pas plus qu’elle, ne prit son parti sur soi-même et ne sut donner à sa vie la dignité de l’indifférence, la fierté calme de la résignation.

Avides d’un intérêt de cœur, ils osèrent le chercher encore. Leur intimité ne leur suffisait pas. Ennuyés, le jugement cruel, l’imagination exigeante, ils promenèrent partout leur fantaisie, voulant être une dernière fois heureux encore dans l’amour avant de mourir.

Ils cherchèrent tous deux, pressés de revenir l’un à l’autre et de se dire ce qu’ils avaient trouvé de meilleur à aimer qu’eux-mêmes, puisqu’ils ne s’étaient pas aimés. C’était à qui de lui ou d’elle viendrait se vanter, avec le plus d’orgueil, de ressentir enfin l’amour. Mais cet