Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/75

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voulait donc pas faire tort aux enivrantes séductions de sa pose en se défendant contre les témérités de la caresse. L’aristocratie de sa nature avait l’épouvante et le dégoût d’une lutte quelconque. Aussi son amant buvait-il à longs traits dans la coupe d’opale de ses épaules la cruelle ivresse des bonheurs non partagés, — un grand délire qui finit par une grande angoisse, — tandis que sous l’impression de tous les égarements qu’elle faisait naître, là où les autres femmes se livrent ou se refusent d’ordinaire, elle restait toujours élégante, toujours convenable, toujours marquise. C’était réellement un abîme de glace, mais un abîme qui donnait le vertige. Après cela, comment n’eût-elle pas pardonné à ceux que le vertige entraînait ?

D’ailleurs, convenons-en sans hypocrisie à l’honneur de la pureté des femmes très belles, souvent on les croit sous l’empire des émotions les plus troublantes qu’elles n’éprouvent que la très immatérielle jouissance de la vue des transports qu’elles excitent. Mme de Gesvres l’éprouvait peut-être ; peut-être aussi, elle qui avait sur l’amour de ces idées qui avaient effrayé Maulévrier dès l’abord, voulait-elle grandir l’amour de cet homme jusqu’à l’ineffable et incroyable idéal devant lequel il s’était cabré, un certain soir ? Si bien éprise que soit une femme, il n’en est point qui ne cherche à augmenter par tous les moyens possibles la passion qu’elle