Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces couvents, asiles naturels des filles nobles sans fortune, dont la fierté ne voulait pas souffrir la honte forcée d’une mésalliance.

Quelle ressource devait lui rester ? Serait-elle obligée d’aller comme ouvrière à la journée, ou, ce qui serait pire encore, d’entrer quelque part en condition ?… Une telle pensée navrait son courage. Elle se souvenait aussi de sa mère, qui était une plébéienne, et voilà comment, les dernières fiertés de son cœur vaincues, elle détourna la tête et se laissa épouser.

Car sa mère, cette Louisine-à-la-hache, comme l’avait appelée Nônon Cocouan, était la première mésalliance de ces Feuardent dont elle portait le nom et qui devaient à jamais s’éteindre en elle. Elle, Jeanne-Madelaine, serait la seconde, mais ce serait la dernière.

En effet, son père, le seigneur de Feuardent, avait couronné une vie d’excès et de folies par un mariage qui l’avait mis, comme on dit, au ban de toute la noblesse du pays.

Il avait épousé, dans l’âge où les passions des hommes qui furent longtemps passionnés contractent je ne sais quoi de plus impérieux et de plus désordonné que dans la superficielle jeunesse, la fille d’un simple garde-chasse d’un seigneur de ses amis, son voisin de terre, le seigneur de Sang-d’Aiglon, vicomte de Haut-Mesnil. Cet ami, ce Sang-d’Aiglon de Haut-Mesnil, était un homme beaucoup plus taré et décrié que jamais ne l’avaient été les Feuardent. Il a laissé dans le pays des souvenirs tels que, si on les remue encore aujourd’hui dans l’esprit des générations qui