Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/140

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Et elle s’arrêta, comme si elle se fût repentie d’en avoir trop dit.

« Tenez, la Clotte, — dit Jeanne-Madelaine en mettant sa main sur une des mains desséchées de la vieille femme, — je crois que j’ai la fièvre depuis hier au soir. »

Et alors elle raconta sa rencontre avec le berger sous le porche du Vieux Presbytère, et la menace qu’il lui avait jetée et qu’elle n’avait pu oublier.

La Clotte l’écouta en jetant sur elle un regard profond.

« Il y a d’autres anguilles sous roche, — dit-elle en hochant la tête. — La fille de Louisine-à-la-hache n’a pas peur des sornettes que débitent les bergers pour effrayer les fileuses. Je ne dis pas qu’ils n’aient pas de méchants secrets pour faire mourir les bêtes et se venger des maîtres qui les ont chassés ; mais qu’est-ce qu’un de ces misérables pourrait faire contre Mademoiselle de Feuardent ? Vous avez autre chose que ça sur l’esprit, mon enfant… »

Mais Jeanne Le Hardouey resta muette, et la Clotte, qui semblait chercher la pensée de Jeanne dans sa vieille tête, à elle, fouillait les cheveux gris de sa tempe creusée, avec le bout de son aiguille à bas, comme on cherche une chose perdue dans les cendres d’un foyer éteint, et continuait à la dévisager de ses redoutables yeux pers.

« Vous qui avez connu tant de monde, la Clotte, — dit, après quelques minutes de silence, Jeanne Le Hardouey, qui succombait enfin à sa pensée secrète,