Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/146

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rieuse et si légère de cœur, qu’on pût aimer un homme, un être fait avec de la terre et qui doit mourir ! Elle ne s’en cacha point. Belle, amoureuse, devenue effrontée, elle croyait facile de se faire aimer… Mais elle s’abusa. Elle fut méprisée pour sa peine. Nous n’étions pas dans les passions de ce Jéhoël, s’il en avait. Roger de la Haye, Richard de Varanguebec, Jacques de Néhou, Lucas de Lablaierie, Guillaume de Hautemer, se moquèrent de l’amour méprisé de Dlaïde. « Fais ta belle et ta fière, maintenant ! — disaient-ils. — Tu n’as pas même su mettre le feu à la robe d’amadou d’un moine. Tu as trouvé ton maître, ton maître qui ne veut pas de toi. » Elle, exaspérée par leurs railleries, jura qu’il l’aimerait. Mais ce serment fut un parjure… Jéhoël avait des pensées qu’on ne savait pas. L’acier de son fusil de chasse était moins dur que son cœur orgueilleux, et le sang des bêtes massacrées qu’il rapportait sur ses mains du fond des forêts, il ne l’essuya jamais à nos tabliers ! Nous ne lui étions rien ! Un soir, Dlaïde, devant nous toutes, dans un de ces repas qui duraient des nuits, lui avoua son amour insensé. Mais, au lieu de l’écouter, il prit au mur un cor de cuivre, et, y collant ses lèvres pâles, il couvrit la voix de la malheureuse des sons impitoyables du cor, et lui sonna longtemps un air outrageant et terrible comme s’il eût été un des Archanges qui sonneront un jour le Dernier Jugement ! Je vivrais cent ans, Jeanne-Madelaine, que je n’oublierais pas ce mouvement formidable, et l’action cruelle de ce prêtre, et l’air qu’il avait en l’accomplissant ! Pour Dlaïde, elle en tomba folle tout à fait.