Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/145

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— Qu’était-ce que Dlaïde Malgy, mère Clotte ? — dit Jeanne Le Hardouey toute troublée, et dont l’intérêt s’accroissait à mesure que parlait la vieille femme.

— C’était une de nous, et la meilleure peut-être, — fit la Mauduit ; — c’était l’amie de votre mère, Jeanne de Feuardent. Mais, hélas ! Louisine, qui était sage, ne put sauver Dlaïde Malgy par ses conseils. La pauvre enfant se perdit, comme toutes les hanteuses du château de Haut-Mesnil, comme Marie Otto, Julie Travers, Odette Franchomme, et Clotilde Mauduit avec elles, toutes filles orgueilleuses, qui aimèrent mieux être des maîtresses de seigneurs que d’épouser des paysans, comme leurs mères. Vous ne savez pas, Jeanne de Feuardent, vous ne saurez jamais, vous qui avez été forcée d’épouser un vassal de votre père, ce que c’est que l’amour de ces hommes qui, autrefois, étaient les maîtres des autres, et qui se vantaient que la couleur du sang de leurs veines n’était pas la même que celle de notre sang. Allez ! il était impossible d’y résister. Dlaïde Malgy l’apprit par sa propre expérience. Elle fut une des plus folles de ces folles qui livrèrent leur vertu à Sang-d’Aiglon de Haut-Mesnil et à ses abominables compagnons. Mais aussi qu’elle en fut punie ! Ah ! nous avons toutes été châtiées ! Mais elle fut la première qui sentit la main de Dieu s’étendre comme un feu sur elle. Au sein de toutes ces perditions dans lesquelles se consumaient nos jeunesses, elle aima Jéhoël de la Croix-Jugan, le beau et blanc moine de Blanchelande, comme elle n’avait aimé personne, comme elle ne croyait pas, elle qui avait été si