Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/154

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Cette vassale idolâtre de ses maîtres, cette fille d’une société finie, disait alors la pensée de Jeanne la mésalliée, qui, depuis l’histoire du curé Caillemer, ne voyait plus dans les cicatrices de l’ancien moine que la parure faite par la guerre et le désespoir au front martial d’un gentilhomme. Ce chêne humain, dévasté par les balles à la cime, avait toujours la forte beauté de son tronc. Jéhoël n’avait perdu que les lignes muettes d’un visage superbe autrefois ; mais il s’était étendu sur ces lignes brisées une surhumaine physionomie, et, partout ailleurs qu’à la face, dans tout le reste de sa personne, l’imposant abbé se distinguait par les formes et les attitudes des anciens Rois de la Mer, de ces immenses races normandes, qui ont tout gardé de ce qu’elles ont conquis, et qui faisaient pousser, à la fin du ixe siècle, ce grand cri dont l’Histoire tressaille : A furore Normanorum libera nos, Domine !

« Oui, bon sang ne saurait mentir ; regardez à votre tour, abbé ! — dit la Clotte. — La femme que voilà, et qui n’a pas honte d’être assise sur l’escabeau de Clotilde Mauduit, ne la reconnaissez-vous pas aux traits de son père ? C’est la fille de Loup de Feuardent.

― Loup de Feuardent ! l’époux de la belle Louisine-à-la-hache ! mort avant nos guerres civiles ! » — reprit l’abbé, regardant attentivement Jeanne, dont le visage n’était plus qu’écarlate du tour de gorge jusqu’aux cheveux.

L’idée de son mariage, de sa chute volontaire dans les bras d’un paysan, lui fondait le front dans le feu