Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/155

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de la honte. Elle avait bien souffert déjà de sa mésalliance, mais pas comme aujourd’hui, devant ce prêtre gentilhomme qui avait connu son père. Heureusement pour elle, la nuit, qui venait et envahissait, en s’y glissant, la chaumière enfumée de la Clotte, la sauva du regard de l’abbé, quand la Clotte parla de son mariage avec Le Hardouey et le déplora comme une nécessité cruelle et un éternel chagrin. Si le sentiment de la famille était plus fort dans Jéhoël de la Croix-Jugan que l’esprit de son sacerdoce, Jeanne n’en sut rien, du moins ce jour-là. Le prêtre laissa tomber d’austères paroles sur les malheurs de la noblesse, mais la nuit empêcha de voir le dédain ou la condamnation de l’homme de race, au blason pur, se mouler dans ces traits tatoués par le plomb, le feu et la cendre, et ajouter les froides horreurs du mépris à leurs autres épouvantements. Dans la disposition de son âme, elle n’eût pas supporté une telle vue.

Ferai-je bien comprendre ce caractère ? Si on ne le comprenait pas, ce récit serait incroyable. On serait alors obligé d’en revenir aux idées de Maître Tainnebouy, et ces idées ne sont plus dans la donnée de notre temps. Pour l’observateur qui s’abîme dans le mystère de la passion humaine et de ses sources, elles n’étaient pas plus absurdes qu’autre chose, mais le scepticisme d’un siècle comme le nôtre les repousserait.

Cependant l’abbé de la Croix-Jugan s’était assis chez Clotilde Mauduit avec la simplicité des hommes grandement nés, qui se sentent assez haut placés dans la vie pour ne pouvoir jamais descendre. D’ailleurs la