Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/165

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teau noir qu’il portait par-dessus son rochet, et dont les plis profonds, comme des cannelures, lui donnaient quelque chose de sculpté et de monumental. Toujours sous le coup d’une punition épiscopale pour avoir manqué aux Saints Canons et à l’esprit de son état en guerroyant avec un fanatisme qu’on accusait d’avoir été sanguinaire, il ne lui était permis ni de dire la messe ni de confesser. L’Église, qui a le génie de la pénitence, lui avait infligé la plus sévère, en lui interdisant les grandes fonctions militantes du prêtre. Il était tenu seulement d’assister à tous les offices, sans étole, et il n’y manquait jamais. Hors les jours fériés, où il venait à l’église de Blanchelande, on ne le rencontrait guères dans les environs que de nuit ou au crépuscule. Ancienne habitude de Chouan, disaient les uns ; noire mélancolie, disaient les autres ; chose singulière et suspecte, disaient à peu près tous. Quelques esprits, à qui les circonstances politiques d’alors donnaient une défiance raisonneuse, prétendaient que cet abbé-soldat, toujours dangereux, cachait des projets de conspiration et de reprise de guerre civile dans sa solitude, et que cet isolement calculé servait à voiler des absences, des voyages et des entrevues avec des hommes de son parti. Qui a bu boira, disaient les sages. Par exception à leur immémorial usage, peut-être que les sages ne se trompaient pas. D’un dimanche à l’autre, on voyait la petite maison de l’abbé de la Croix-Jugan fenêtres et porte strictement fermées. Nul bruit ne se faisait entendre de l’écurie, où son cheval entier hennissait, se secouait et frappait si fort la dalle de ses pieds ferrés,