Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/167

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avec une envie respectueuse. Ce mot-là éclairait bien leurs relations. Que n’eût-elle pas donné, Nônon Cocouan, pour être à la place de Barbe Causseron, eût-elle dû en prendre, par-dessus le marché, le bec pincé, les reins de manche à balai et le teint jaune, sec et fripé comme une guezette[1] de l’année dernière ! La Barbe Causseron, cette insupportable précieuse de cuisine, avait des manières si endoctrinantes de dire : « Ma fille » à Nônon Cocouan, que celle-ci ne les eût probablement point souffertes sans cette grande position qui lui consacrait Barbe, « d’approcher MM.  les prêtres », et qui était, pour elle, la chimère, caressée dans son cœur, des derniers jours de sa vieillesse, car Nônon voulait mourir servante de curé.

« Barbe, — dit Nônon avec cet air de mystère qui précède tout commérage chez les dévotes, — vous qui êtes d’Église, ma très chère fille, est-ce que notre vénérable seigneur de Coutances a relevé de son interdiction M. l’abbé de la Croix-Jugan ?

— D’abord, ma fille, il n’est pas interdit, il n’est que suspens, — répondit la Causseron avec un air de renseignement et de savoir qui faisait de sa coiffe plate le plus bouffon des bonnets de docteur. — Mais nenni ! point que je sache, ma fille. La suspense est toujours maintinte. Nous n’avons rien reçu de l’évêché. Il y a plus de quinze jours que le piéton n’a rien

  1. Dans la langue du pays, la branche de laurier bénit qu’on rapporte chez soi le jour des Rameaux et qu’on attache à la ruelle des alcôves. (Note de l’auteur.)