Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/191

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mon épinglette et de l’argent, et de tout, et je lui aurais donné de mon sang pour qu’il me découvrît un moyen de me faire aimer de Jéhoël, s’il y en avait. Le misérable va-nu-pieds, après bien des refus, aiguisés par la haine et par la vengeance, a fini par me dire qu’il fallait porter une chemise sur ma poitrine, l’imbiber de ma sueur et la faire porter à Jéhoël. Le croirez-vous, mère Clotte ?… Jeanne de Feuardent n’a pas pris cela pour une injure ! Elle a cru que c’était un conseil… L’amour nous abêtit-il assez, nous autres femmes ! J’ai taillé et cousu de mes mains cette chemise et je l’ai portée sur ce corps que la seule pensée de Jéhoël baignait de feu ! je l’en ai imbibée, traversée… Je l’aurais imbibée de mon sang si le berger avait dit que c’était du sang qu’il fallait à la place de sueur. Puis, un soir que la porte de la maison de Jéhoël était entr’ouverte et que je l’avais entendu qui parlait dans son écurie avec ses chevaux, les seules créatures vivantes qu’il ait l’air d’aimer, je m’y glissai comme une voleuse et je jetai la chemise sur son lit, espérant qu’il la mettrait (la trouvant sous sa main) sans y penser. La mit-il ? je ne sais. Mais, s’il l’a mise, il n’a pas mis l’amour avec !

« Hélas ! il ne m’aima pas davantage. « Il fallait qu’elle n’eût pas séché », fit le berger en ricanant et en me retournant ce couteau dans le cœur. C’était me demander l’impossible. Le pâtureau se vengeait. Mais la taie que j’avais sur les yeux tomba. Je n’allai plus au berger. Et pourtant la crédulité me tenait toujours ! Dans toutes les foires et les marchés je consultais les tireuses de cartes. Elles ne disaient jamais