Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/257

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préoccupation éternelle, — les bandits auront tué la vieille Chouanne. »

Et il vida l’étrier, s’approcha du corps de la Clotte, ôta son gant de daim et tourna vers lui la face saignante. Un instant s’écoula, il interrogea les artères. Par un prodige de force vitale comme il s’en rencontre parfois dans d’exceptionnelles organisations, la Clotte, évanouie, remua. Elle n’était pas encore morte, mais elle se mourait.

« Clotilde Mauduit ! — fit le prêtre de sa voix sonore.

— Qui m’appelle ? — murmura-t-elle d’une voix faible. — Qui ? Je n’y vois plus.

— C’est Jéhoël de la Croix-Jugan, Clotilde, — répondit l’abbé. Et il la souleva et lui appuya la tête contre une butte. — Oui ! c’est moi. Reconnais-moi, Clotilde. Je viens pour te sauver.

— Non ! — dit-elle, toujours faible, et elle sourit d’un dédain qui n’avait plus d’amertume, — vous venez pour me voir mourir… Ils m’ont tuée…

— Qui t’a tuée ? qui ? — dit impétueusement le prêtre. — Ce sont les Bleus, n’est-ce pas, ma fille ? — insista-t-il avec une ardeur dans laquelle brûlait toute sa haine.

— Les Bleus ! — fit-elle comme égarée, — les Bleus ! Augé, c’est un Bleu ; c’est le fils de son père. Mais tous y étaient… tous m’ont accablée… Blanchelande… tout entier. »

Sa voix devint inintelligible ; les noms ne sortaient plus. Seul, son menton remuait encore… Elle ramenait sa main à sa poitrine et faisait ce geste épouvan-