Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/258

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table de ceux qui agonisent, quand ils semblent écarter de leurs doigts convulsifs les araignées de leur cercueil. Qui a vu mourir connaît cette effroyable trépidation.

L’abbé la connaissait. Il voyait que la mort était proche.

Il interrogea encore la mourante, mais elle ne l’entendit pas. Elle avait l’absorption de l’agonie… Lui, qui ne savait pas la raison de cette mort terrible qu’il avait là devant les yeux, pensait aux Bleus, sa fixe pensée, et il se disait que tout crime de parti pouvait rallumer la guerre éteinte. Le cadavre mutilé de la vieille Clotte lui paraissait aussi bon qu’un autre pour mettre au bout d’une fourche et faire un drapeau qui ramenât les paysans normands au combat.

« Que se passe-t-il donc ? » — fit-il avec explosion, déjà frémissant, palpitant et frappant la terre de ses bottes à l’écuyère aux éperons d’argent. Le chef, l’inflexible partisan, se dressa, redevenu indomptable, dans le prêtre, et, oubliant, lui, le ministre d’un Dieu de miséricorde, qu’il y avait là une mourante qui n’était pas encore trépassée, il s’enleva à cheval comme s’il eût entendu battre la charge. Lorsqu’il retomba sur sa selle, sa main caressa fiévreusement la crosse des pistolets qui garnissaient les fontes… Le soleil, qui se couchait en face de lui, éclairait en plein son visage cerclé de sa jugulaire de velours noir et haché par d’infernales blessures, auxquelles le feu de sa pensée faisait monter cette écarlate qu’un aveugle célèbre comparait au son de la trompette. Il enfonça ses éperons dans les flancs de la pouliche,