Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/260

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« Si tu m’entends, — dit-il, — ô ma fille ! pense au Dieu terrible vers lequel tu t’en vas monter. Fais, par la pensée, un acte de contrition, ô pécheresse ! et, quoique indigne moi-même et pénitent, mais prêtre du Dieu qui lie et qui délie, je vais t’absoudre et te bénir. »

Et, les mains étendues, il prononça lentement les paroles sacramentelles de l’absolution sur ce front offusqué déjà des ombres de la mort. Singulier prêtre, qui rappelait ces évêques de Pologne, lesquels disent la messe, bottés et éperonnés comme des soldats, avec des pistolets sur l’autel. Jamais être plus hautain debout n’avait récité de plus miséricordieuses paroles sur un être plus hautain renversé. Quand ce fut fini : « Elle a passé », dit-il, et il détacha son manteau et l’étendit sur le cadavre. Puis il prit deux branches cassées dans un ravin et les posa en forme de croix par-dessus le manteau. Le soleil s’était couché dans un banc de brume sombre : « Adieu, Clotilde Mauduit, — dit-il. — Ô complice de ma folle jeunesse, te voilà ensevelie de mes mains ! Si un grand cœur sauvait, tu serais sauvée ; mais l’orgueil a égaré ta vie comme la mienne. Dors en paix, cette nuit, sous le manteau du moine de Blanchelande. Nous viendrons te chercher demain. » Il remonta à cheval, regarda encore cette forme noire qui jonchait le sol. Son cheval, qui connaissait son genou impérieux, frémissait d’être contenu et voulait s’élancer, mais il le retenait… Sa main baissée sur le pommeau de la selle rencontra par hasard la crosse des pistolets : « Taisez-vous, — dit-il, — tentations de guerre ! » Et, con-