Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/259

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qui bondit à casser sa sangle. Par un mouvement plus prompt que la pensée, il tira un des pistolets de ses fontes et le leva en l’air, le doigt à la languette, comme si l’ennemi avait été à quatre pas, visionnaire à force de belliqueuse espérance ! Ces pistolets étaient ses vieux compagnons. Ils n’avaient, durant la guerre, jamais quitté sa ceinture. Quand la mère Hecquet l’avait sauvé, elle les avait enfouis dans sa cabane. C’étaient ses pistolets de Chouan. Sur leur canon rayé, il y avait une croix ancrée de fleurs de lys qui disait que le Chouan se battait pour le Sauveur, son Dieu, et son seigneur le roi de France.

Cette croix que le soleil couchant fit étinceler à ses yeux lui rappela l’austère devoir de toute sa vie, auquel il avait si souvent manqué.

« Ah ! — dit-il, replongeant l’arme aux fontes de la selle, — tu seras donc toujours le même pécheur, insensé Jéhoël ! La soif du sang de l’ennemi desséchera donc toujours ta bouche impie ! Tu oublieras donc toujours que tu es un prêtre ! Cette femme va mourir et tu songes à tuer, au lieu de lui parler de son Dieu et de l’absoudre. À bas de cheval, bourreau, et prie ! »

Et il descendit de sa pouliche comme la première fois.

« Clotilde Mauduit, es-tu morte ? » — lui dit-il en s’approchant d’elle.

Fut-ce une convulsion suprême, mais elle se tordit sur la poussière comme une branche de bois sec dans le feu. Il semblait que la voix du prêtre galvanisât sa dernière heure.