Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/278

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tesse de Montsurvent, qui ne quittait jamais son château et qui n’entendait de prières que dans sa chapelle, vint à cette messe, où toute la noblesse des environs se donna rendez-vous pour honorer, dans la personne de l’abbé, le gentilhomme et le chef de guerre.

Le jour de Pâques tombait fort tard cette année-là. On était en avril, le 16 d’avril, car cette date est restée célèbre. C’était une belle journée de printemps, me dit la vieille comtesse centenaire quand je lui en parlai et qu’elle me mit les lambeaux de ses souvenirs par-dessus l’histoire de mon brave herbager Tainnebouy. L’église de Blanchelande avait peine à contenir la foule qui se pressait sous ses arceaux. Il fait toujours beau temps le jour de Pâques, affirment, avec une superstition chrétienne qui ne manque pas de grâce, les paysans du Cotentin. Ils associent dans leur esprit la résurrection du Christ avec la résurrection de la nature, et acceptent comme un immuable fait, qui a sa loi dans leur croyance, la simultanéité que l’Église a établie entre les fêtes de son rituel et le mouvement des saisons. Les neiges de Noël, la bise plaintive du Vendredi Saint, le soleil de Pâques, sont des expressions proverbiales dans le Cotentin. Le soleil brillait donc, ce jour-là, et éclairait l’église de ses premiers joyeux rayons, qui ne sont pas les mêmes que ceux des autres jours de l’année. Ô charme emporté des premiers jours, qui n’est si doux que parce qu’il est si vite dissipé et que la mémoire en est plus lointaine !

Tous les bancs de l’église étaient occupés par les familles qui les louent à l’année. Revêtus de leurs plus