Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/279

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beaux habits, les paysans se pressaient jusque dans les chapelles latérales, et on ne voyait de tous côtés que ceintures et gilets rouges aux boutons de cuivre, la parure séculaire de ces farauds Bas-Normands. Dans la grande allée de la nef, ce n’était qu’une mer un peu houleuse de ces coiffes qu’on appela plus tard du nom éblouissant de comètes, et qui donnaient aux jeunes filles du pays un air de mutinerie héroïque qu’aucune autre coiffure de femme n’a jamais donné comme celle-là ! Toutes ces coiffes blanches si rapprochées les unes des autres, qu’un prédicateur de mauvaise humeur comparait assez exactement, un jour, à une troupe d’oies dans un marais, étaient agitées par le désir de voir enfin une fois sans son capuchon ce fameux abbé de la Goule-Fracassée, comme on disait dans le pays. Surnom populaire qu’à une autre époque sa race aurait gardé s’il n’avait pas été le dernier de sa race ! Le seul banc qui fût vide dans cette foule de bancs qui regorgeaient était le banc, fermé à la clef, de maîtresse Le Hardouey. On n’y avait plus revu personne depuis la mort de la femme et l’inexplicable disparition du mari. Ce banc vide rappelait, ce dimanche-là mieux que jamais, toute l’histoire que j’ai racontée. Il faisait penser davantage à cette morte, à laquelle on pensait toujours et dont le souvenir amenait infailliblement dans l’esprit l’idée de l’abbé de la Croix-Jugan, de ce moine blanc de l’abbaye en ruines, qui allait chanter la grand’messe pour la première fois. On pensait que la tragédie de l’ensorcellement de Jeanne avait commencé à ce banc, à une procession comme celle-ci, et que le